mardi 31 juillet 2012

Vol à l'arraché d'arracheurs

Il y a quelques jours je tombe sur une annonce ebay vraiment surprenante, voir: http://cgi.ebay.fr/261060922102#ht_909wt_1213, qui de prime abord m'a fait crier au scandale, à la récup'. Puis après avoir lu le speech du vendeur j'ai trouvé ça plus intéressant, et je lui ai posé quelques questions.



Ayant moi-même déjà détaché et ramené une porte pleine de vestige chez moi(http://capdorigine.blogspot.fr/2010/07/blue-devil.html), ta démarche m'a fortement parlé. Quelle était-elle au début?

J'ai lu ton article, c'est à peu près la même histoire, pour chaque pièce, pour chaque artiste avec des anecdotes différentes. Quand j'ai commencé, c'était pas pour en faire une collection, mais au bout d'une centaine de pièces, ça en devient une. C'est assez bien résumé dans le film de BANKSY. Il n'y a pas de démarche au début, c'est à la fin que l'on découvre qu'il y a une cohérence dans les choix. Je trouve aujourd'hui qu'il y a quelque chose d'artistiques dans le fait de collectionner (voir les "archives du cœur" de Boltanski, les collections de Martin Parr ou juste les portraits de JR).

Je collectionne moi-même énormément de trucs, les sprays bien sûr, mais aussi tout ce qui se rattache à la peinture industrielle(pubs, porte-clés, plv, etc.), à l'histoire du métro de Lille, les marqueurs, encres, les applicateurs de cirage, chaque fois de petits objets, et je sais que personne d'autre n'a trouvé utile de les rassembler. La plupart du temps, dans les drogueries et quincailleries françaises ou belges, mes hôtes d'une minute ou d'une heure me regardaient tous avec le même regard mi-dédaigneux mi-interrogatif quand je leur demandais s'ils avaient ce que je cherchais. Je trouve ça dommage de voir disparaître des pans entiers de la création humaine, même s'il est évident qu'on ne peut tout garder, c'est néanmoins une mission que je me suis donné.
Pour ce qui est des supports que tu "récupères", j'y ai pensé plus d'une fois, mais concernant uniquement les tags old-school d'une dizaine de mes noms préférés. SLEEK, BEEN, EDGE, DUKE, HERO, j'aimerais avoir un support de chacun d'entre eux mais malheureusement il en reste si peu que c'est impossible. Surtout que bien souvent ce ne sont pas des supports éphémères mais de la pierre, du poteau de voie ferrée, etc. D'ailleurs en parlant de poteau(et de boîtiers électriques, mais les gros), j'en connais plusieurs qui vont disparaître à coup sûr d'ici quelques mois, au mieux quelques années, avec des noms vraiment historiques, lillois et parisiens, et j'hésite à ramener le gros matos pour les sauver.
Pour ce qui est de la cohérence, forcément, mes collections en avaient une dès le début même si certaines sont venues se greffer au cours du temps(métro notamment).

Continuons...beaucoup de supports de nature différente, quelles étaient les différentes techniques?

Un peu les mêmes que celles utilisées par les tagueurs : repérage, sortie nocturne, passage à l'acte. Ou parfois si tu as le matos sur toi au bon moment et au bon endroit, passage à l'acte direct. Je voulais que mes pièces aient la même énergie que celle qu'elles ont dans la rue. Faire tagguer un bout de planche en bois par MODE2 m'intéresse moins.

Pour moi on peut rapprocher ça du phénomène des autographes. Depuis que je suis en âge de réfléchir un peu et que je vois des gens demander un autographe ou une photo à une "star"(et là je ne parle pas de graffiti), sans même croiser leur regard ni leur échanger un mot(dans les 2 sens), j'me dis "mais quel intérêt?". Vraiment, je trouve ça d'une débilité sans nom, comme les gens qui pas passent tout un concert à filmer la scène en regardant leur écran...Si je rencontrais Jordan j'lui parlerais d'un de ces shoots légendaires ou d'une anecdote mais j'm'en branlerais d'avoir son nom mal écrit sur un bout d'papier. Même chose pour un graffeur, j'ai jamais fait signer un book(j'ai pas d'book en même temps), à la limite j'préférerais qu'le mec me donne une photo en m'ayant bien raconté l'histoire de ce qu'il y a dessus avant.

Avais-tu une liste de noms à "chasser"?

Non, j'aime bien l'expression "chasser". Je pense pas qu'un chasseur part forcément en sachant avec quoi il va revenir. Mais je suis assez fier de ces trophées.

Aucun regret à voler à leur avenir(incertain certes) tous ces tags?

Je pourrai te dire un truc à la con du style: «Oui mais si personne ne l'avait fait, ils auraient disparus». Et en même temps j'ai envie de te dire que les tagueurs ne se posent pas la question de savoir à qui est le mur qu'ils tagguent. La question de la propriété individuelle, matérielle et intellectuelle m'intéresse beaucoup.

C'est ce que j'avais répondu à un crew qui ne voulait plus apparaître sur mon blog: "une fois ton tag/graff posé il ne t'appartient plus et chacun est libre d'en faire ce qu'il veut", en l'occurrence moi c'était photo/partage, toi décrochage/accrochage.

Pourquoi les vendre et ne pas les donner, ou mieux, les replacer de manière artistique ou non?

Les donner ? à qui ? j'ai été frappé aux portes de certains musées et institutions culturelles pour en faire don. Ils m'ont demandé d'envoyer des mails, ou appeler untels. Je n'ai jamais eu aucune réponse.

Un mec bien connu dans le "milieu" m'avait dit avoir donné(il y a au moins 6-8 ans) une partie de sa collection de sprays à un musée, mais aux dernières nouvelles je ne pense pas que celui-ci ait mis en exposition ces dites sprays depuis le don. Pour ce qui est de la mienne(qui est bien bien plus conséquente que la sienne) j'ai pensé à entreprendre quelque chose pour qu'en cas de départ précipité pour l'au-delà ma fiancée ou ma famille n'ait pas sur les bras un truc aussi ingérable pour les non-initiés, mais n'ayant aucune garantie sur son utilisation et sa conservation, cela reste en stand-by...Par contre je ne la vendrais pas. Un ami à moi m'a récemment parlé d'une université américaine qui dispose du plus important fond mondial d'archives concernant la culture Hip-Hop. Il m'a montré 2-3 trucs vraiment oufs, dont une acquisition récente, et je peux te dire qu'ils ont les moyens de leurs ambitions. Je ne peux pas trop en dévoiler, mais on parle en millions de francs. Pourquoi ne pas te rapprocher d'une structure moins étatique...

Quel est le prix de réserve, et comment l'as-tu calculé?

Il n'a pas été atteint je ne peux pas le dire, car je risque de remettre l'objet en vente.
Il a été calculé en fonction de plusieurs critères :
- En fonction des prix du marché : certaines toiles valent des milliers d'euros aujourd'hui... (est ce raisonnable ???)
- Un tag qui est fait dans un atelier sans risque a t'il la même valeur qu'un tag fait dans la rue ?
- Quel est le prix acceptable pour de l'art qui appartient à tout le monde, mais que l'ont est obligé de mettre sous cadre pour le considérer comme tel ?
- Y a t'il (comme tu l'a bien dit dans ton article) quelqu'un que ça intéresse ?

C'est très intéressant ce que tu soulèves comme question. Y a-t'il vraiment quelqu'un d'assez passionné en France pour mettre le prix d'une toile avec un graffiti dessus pour un panneau de boîtier EDF avec un tag dessus? Je ne pense pas, hormis peut-être un mec du mouv', comme moi ou d'autres fanatiques. On en revient à la méconnaissance du tag, le mal-aimé de la culture graffiti, et pourtant à mes yeux le plus beau, le plus prenant, le plus évocateur. Comme je le dis dans mon article je serais capable de mettre quelques milliers d'euros pour une porte avec un tag de chacun de mes kings locaux, alors que mettre la même somme dans une toile produite à la chaîne par une icône mondiale, là...

Gardes-tu certains noms plus "famous" ou réussis que d'autres?

Si je vends je vends tout.

"Famous" c'est quoi ? Avoir fait la première page du NY Times? Faire la couv du Madame Figaro alors qu'on est un artiste très côté? Ruiner Paris mais ne plus avoir aucun de ses tags 3 ans après? Vendre des toiles super chères dans un marché biaisé par des spéculateurs et faux enchérisseurs? Tagguer le monument de la Bastille? Avoir taggué la station Louvre? Avoir fait des peintures dans toutes la France de Paris à Marseille? Être connu juste parce que l'on est un américain de passage à Paris? Avoir taggué à peine 10 vitrines mais de manière tellement intelligente qu'on est buzzé d'un coup d'un seul? Être mort et n'avoir plus qu'un nombre limité de tags à disposition?..

Les "famous" des uns, ne sont pas forcément les "famous" des autres, et j'ai pas trop envie de rentrer dans ces débats. C'est un art très local, très temporel et les références varient en fonction de chacun, pour moi ils sont tous "famous", je l'ai bien précisé dans l'annonce que le lot est indivisible. J'aime à voir le hip-hop comme une vision horizontale de la société et non verticale.

Très intéressant aussi, même si j'pense qu'on est obligés d'appliquer une verticalité dans le traitement des acteurs de la culture graffiti. Il faut dire ce qui est, certains "méritent" plus que d'autres, de par leur dévouement sans limites, leur Style, leur charisme. Même s'il est encore tôt pour le dire, et qu'il faudrait une intellectualisation et une étude beaucoup plus poussée de ces années d'Histoire.





2 commentaires:

  1. Le crew en question, qui grace à sa demande de ne plus apparaitre systématiquement sur ton blog, a, d'une certaine manière contribué au développement enfin plus personnel de ce dernier, avant cela, il aurait pu ressembler au notre... si nous en avions un....!

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    1. Mouais...tu t'enflammes beaucoup là...faut redescendre sur Terre...

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